• Suite, encore et toujours...

    Pour ceux qui n'ont pas lu le début, cherchez dans ce même thème. Pour les autres, je remets un petit bout de ce que j'ai déjà écrit.


     


             Au fur et à mesure de l'ascension, il se calmait, ses mouvements retrouvaient le parfait contrôle dont il avait l'habitude, et il se sentit à la fois en symbiose avec la nature et plus puissant qu'elle ; une euphorie effrayante s'emparait de lui, et il ne savait plus très bien s'il avait envie de rire, de crier, de pleurer ou de sauter dans le vide. Il ne fit rien de tout ça. Il resta simplement debout, en équilibre sur l'une des plus hautes branches, à regarder dans le vague, à écouter, respirer, sentir le souffle de l'air sur son torse nu, l'écorce sous ses pieds, les racines du grand arbre dans le sol, et toute la forêt autour de lui, en lui. Il sentait le vent dans ses feuilles, les oiseaux sur ses branches. Les termites dans son tronc, qui le rongeaient de l'intérieur. Il n'était plus Corto. Il était un arbre, il était la terre, un arbre enraciné dans la terre, enraciné en lui-même, la forêt lui parlait, non, il était la forêt, il était la terre sous et autour de la forêt. Il se tourna vers un point de chaleur au loin. La chaleur l'appelait. Le ventvent agitait ses plumes argentées. Il glissa, vola, ondula vers la chaleur. Il ne voyait plus, n'entendait rien de distinct, et pourtant il savait ou il allait. Vers la chaleur. Pourquoi allait-il là-bas ? Et qui était « il » ? Il se souvint. Il redevint Corto, debout sur la pointe des pieds au sommet de l'arbre le plus haut de la forêt. Il voyait de nouveau. Il entendait de nouveau. Il sentait, il goûtait l'air humide. Il touchait. Et puis... Autre chose. Sentiment d'unité. Comme s'il avait vécu toute sa vie avec un manque, quelque chose en moins, qu'il avait retrouvé. Qui l'avait retrouvé. Il glissa le long du tronc, jusqu'en bas. La Forêt le portait.


                                                   30


             Cécile s'était réveillée pour trouver ses deux patients un peu mieux, et les deux comateux, encore très faibles mais conscients. Le ciel rosissait à l'Est. Elle ne vit pas d'où venait Corto. Il n'était pas là ; puis il était à son épaule.
    -         Tu as vu Heaven ?
    -         Il dort encore. Je crois qu'il a eu du mal à s'endormir. Il est choqué.
    -         Et toi, ça va ? Tu vas te tuer si tu oublies de penser un peu à toi.
    -         J'ai jamais eu de problèmes pour dormir. Je veux dormir, je dors. Dès que tout le monde sera en meilleure forme, il faudra qu'on y aille.
    -         Hein ?
    -         Qu'on sorte de cette jungle. Mais pour l'instant, il faut soigner les deux nouveaux, de façon à ce qu'ils supportent le déplacement. Et il nous faudrait de la nourriture. Si tu pouvais me trouver ça...


                                                     31



             Heaven entendait des voix. Il ouvrit les yeux. Il avait encore sommeil, mais se leva brusquement. «  Tu vas chasser? Attends, j'arrive. »
             Corto marchait devant. Heaven n'osait pas lui dire qu'il savait suivre des pistes. Il l'admirait bien trop. Et il aimait ce silence entre eux. Depuis le crash, Corto ne lui avait pas témoigné d'affection, mais être ensemble, c'était mieux que rien. Ils n'attraperaient rien comme ça, évidemment. Corto marchait, le nez en l'air, et donnait l'impression de penser à autre chose, ou en tous cas à rien qui concernait la chasse. Il était grand et beau, sa démarche était souple, féline, son pied se posait parfaitement sur le sol, se déroulait magnifiquement, et tout son corps suivait, droit, souple. La perfection dans le moindre mouvement. Il l'avait déjà remarqué en combat, mais ne l'avait pas vraiment observé dans la vie courante. La veille il était bien trop fatigué.
             Heaven se rendit compte qu'il entendait un bruit de ruisseau. Il était déjà assez fort, mais il rêvassait trop pour l'avoir entendu plus tôt. Il espéra que Corto se rappelait d'où ils venaient. Il ouvrit la bouche pour lui poser la question, mais Corto l'arrêta d'un geste. Un torrent à travers les feuillages. Mais pas d'animaux. Des traces de diverses tailles dans la boue, au bord de l'eau. Evidemment. Tous les animaux venaient boire ici, et depuis le début, c'était l'eau que Corto cherchait. Il avait dû l'entendre bien avant Heaven, ou peut être même qu'il l'avait repéré la veille, quand il s'était levé en pleine nuit.
             Un tapir, ou quelque chose qui s'en rapprochait, vint boire. Par signes, Heaven proposa à Corto de l'attraper. Il secoua la tête. Il paraissait guetter autre chose. Soudain il bondit, sembla courir le long d'un tronc tellement il grimpait vite, puis fut esserré par un python, puis le python mourut. Heaven avait à peine posé un premier pied sur le tronc. Le temps de formuler cette pensé, Corto était en bas, le serpent enroulé comme une corde autour de son épaule.
    -         Comment tu fais pour bouger aussi vite ?
    -         ...
    -         Et pourquoi t'as pas attrapé le tapir, plutôt ?
    -         Trop facile. Et puis je vouais le python depuis le début. C'est lui que j'avais repéré. Le fourmilier a servit d'appât. En plus, il vaut mieux une chair pas trop sèche, les malades auraient du mal.
    Il n'en croyait pas ses yeux. Tous les combats de Corto, tous ceux qu'il avait vu, celui où il avait été étalé en trois mouvements, rien ne valait ce qu'il venait de voir. Un pensée lui vint : Corto ralentit ses mouvements pour le spectacle. Sinon ses combats dureraient une seconde. Corto ne le regardait pas. Tout à coup il realisa que dans son admiration pour cet homme, il y avait de la peur. Non, une sorte d'adoration d'inférieur, envers un Dieu qu'on ne pourra jamais égaler. Heaven avait envie de pleurer, à la fois à cause de la douleur de ne pas être regardé et de sa propre faiblesse. Il eut envie de partir loin de son idole, redevenir extraordinaire. Trop facile.
    Le soir même, Heaven s'éclipsa quand des que les autres dormaient.


                                                                            32


    Cécile avait un mal de crâne affreux. Ca devait être la chaleur qu'il avait fait toute la journée. Cécile n'avait jamais eu de fièvre ni de migraine, ou en tous cas elle ne s'en souvenait pas. Elle avait dû en avoir quand elle était petite, comme tout le monde. Surement psychosomatique.
    Elle fit abstraction. Se concentrer malgré tout, c'était un de ses point forts, et un petit mal de crâne n'allait pas l'arrêter.
    Le jeune homme qui était dans le coma la veille avait décliné toute la journée. Il ne disait plus rien de compréhensible dans son délire. Elle savait bien ce qui allait se passer, et elle l'acceptait. Elle était habituée. Ce mal de crâne ne partait pas. Mais si, il partait, il suffisait de le chasser. Elle posa une main sur le front du garçon, et prit son pouls à la carotide. Il ne pouvait pas mourir d'une fracture à la jambe, il devait y avoir un traumatisme crânien. Contre ça elle ne pouvait rien ici. Tout en prenant le pouls du garçon, elle repoussait sa propre douleur, et la douleur cédait. La sienne, alors que le garçon était en train de mourir. Elle se sentait bien, toute-puissante sur elle-même et son corps. Il allait mourir, et, égoïste, elle repoussait sa propre douleur. Mais elle ne pouvait rien faire pour lui. Ridicule, de vouloir soigner par la pensée. Moi-même je ne me soigne pas, je sens moins la douleur, c'est tout. Ridicule de se concentrer sur lui comme ça, de concentrer son esprit. Ridicule.
    La femme, elle, était toujours dans le même état. Quelque part entre la vie et la mort. Pour elle au moins il y avait de l'incertitude.


                                                                                       33


             Il courait, sautait, grimpait. Il était fort, très fort. Mais rien à voir avec Corto, se disait-il. Alors il courait plus vite, il sautait plus loin, il se mettait en danger, en déséquilibre, tombait, se rattrapait de justesse, avait peur, puis  sa volonté reprenait le dessus, il courait, il sautait, il tombait. Il était à bout de souffle, avait mal aux muscles, saignait un peu d'être trop tombé, des pierres et de l'écorce, mais il continuait. C'est comme ça qu'il s'entraîne, je l'ai vu l'autre nuit.
             Corto le regardait, sans se faire voir. Une volonté impressionnante. Mais pas d'endurance. Lent. Maladroit. Ai-je jamais eu autant de difficulté ? Tout ce que je fais, je le réussis. Je ne suis jamais tombé, de nulle part. Je sais exactement ce que je suis capable de faire, c'est pour ça. Je ne pourrais pas faire plus, mais quand je fais quelque chose, je suis sûr de réussir. Ce type fait partie des meilleurs mondiaux, et il n'est pas capable du tiers de ce que j'accomplis sans y penser.
             Heaven était fatigué. Il ne savait pas depuis combien de temps il s'entraînait. Il continuerait jusqu'au matin, c'était le seul moyen d'être vraiment efficace. Il avait ralentit. Il fit un effort, glissa, se prépara à la mort, au toucher du sol vingt mètres plus bas. Le sol ne vint pas. Une main serrait son bras. « Tu m'as fait peur. J'ai cru que j'aurais pas le temps de te rattraper. » Il n'avait jamais eu aussi honte de sa vie. Corto le hissa sur la branche. Salope de branche glissante. « Si tu veux demain on s'entraînera ensemble. » Je ne ferais que te ralentir. « Oui, mais c'est beaucoup moins chiant de s'entraîner à deux. » Au moins t'es franc. « Je peux te poser une question ? » Pose toujours. « Tu contais continuer combien de temps comme ça ? » Toute la nuit. « Ca fait à peine deux heures que t'as commencé. Tu devrais y aller mollo. »


                                                                  34


    Il était mort. C'est la première chose qui lui vint à l'esprit. Pourquoi se disait-il ça ? Ah oui. Alors comme ça le paradis existait. Ou l'enfer. Dieu ne devait pas apprécier qu'on le renie. Il ouvrit les yeux. Dieu ne peut pas être une femme. Quoique, soyons moderne.
    « Ca va ? J'avais perdu l'espoir de vous voir aller mieux. » Derrière cette femme, il y avait des arbres et des feuilles. Et des tous petits coins de ciel. Apparemment ce n'était pas encore aujourd'hui qu'il saurait.
    Elle n'en revenait pas. Pourtant il était temps d'en revenir. Il y avait encore cette femme à sauver. Et ce mal de tête qui était revenu. Mais elle avait fait l'impossible, elle ou un miracle. Elle se sentit forte.


     


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